Animation : Cyril Gfeller et Igor Kuzmic
“Une carte du monde sur laquelle ne figurerait pas le pays d’Utopie ne mérite pas le moindre coup d’œil, car elle néglige la seule contrée où l’humanité finit toujours par aborder. Et lorsque l’humanité s’en approche, elle observe à la ronde et, découvrant un pays meilleur, elle gonfle ses voiles.” Oscar Wilde
Pour ‘To Be Sky’, notre troisième vidéo tirée de I Dreamed An Island, j’avais envie de trouver une histoire qui capture l’essence de ce qui m’a inspiré pour l’écriture de l’album. Pendant que je notais quelques idées tout en échangeant cet été avec Cyril Gfeller, le co-réalisateur, je ne cessais de penser à la belle et incomparable ancienne cité de Palmyre en Syrie, tragiquement vandalisée par Daesh Sans trop savoir pourquoi, ces images n’arrêtaient pas de me trotter dans la tête, alors on a décidé de construire un récit dramatique inspiré d’une certaine façon par ces terribles séquences.
Nous avons imaginé une série de mini décors de théâtre en papier sur lesquels projeter les images filmées de silhouettes réelles. Au-delà de ma fascination de longue date pour l’animation à base de papiers découpés, il me semblait que par essence elle capturait la nature-même de cette idée de mémoire autour de laquelle tourne le scenario de la vidéo. Brisé, brûlé, ou réécrit, un monde de papier semblait la juste métaphore pour traduire la fragilité de notre époque.
Dans ‘To Be Sky’, un personnage solitaire atterrit sur une île déserte. Au fil de la chanson, on le voit errer et découvrir toutes sortes de paysages : rivages, forêts, déserts, et immenses canyons… Que cherche-t-il, alors qu’il entonne « J’ai trouvé un océan, mais il s’est asséché. J’ai trouvé un rocher, mais le voilà réduit en poussière… » ? Le point culminant de la vidéo survient au troisième couplet alors que notre explorateur solitaire tombe finalement sur ce qu’il cherchait « Jusqu’aux portes du temple j’ai voyagé, j’ai vu les ruines du royaume et j’ai pleuré ».
Mais les ruines sont loin de symboliser une tragédie si on s’en occupe; tout comme les souvenirs elles doivent être dépoussiérées et protégées. Les voir sombrer dans l’oubli serait une perte inimaginable. Ainsi en va-t-il pour notre personnage-silhouette dans la vidéo, déambulant parmi les ruines de cette civilisation qu’il cherchait désespérément, maintenant disparue depuis longtemps: au moins ses ruines lui apportent-elles la preuve de son existence !
Ceux qui veulent détruire les traces de l’Histoire voient en elles la preuve d’un passé multiculturel partagé. Le révisionnisme historique est la première étape pour étouffer l’Histoire en vue de la réécrire. Lorsque Trump défend les manifestants d’extrême-droite après les événements de Charlottesville, alors que beaucoup défilaient sous des bannières nazies, il piétine la mémoire des Américains qui sont morts en combattant le nazisme durant la deuxième guerre mondiale autant que celle des six millions de Juifs morts dans les camps de concentration. Il y a là une autre forme de vandalisme, ni moins choquante ni moins dangereuse.
Dans ce processus long et complexe de la fabrication de la vidéo, j’ai suivi les manipulations de Cyril Gfeller, assisté d’Igor Kuzmic, pour agencer finement les papiers découpés et les combiner avec le rétro-éclairage selon l’évolution des scènes. Les décors multicouches à trois dimensions ont été créés en papier, en utilisant un découpe-vinyle.
Les différentes scènes ont été filmées à l’aide d’un système motion control visant à créer des séquences lisses et reproductibles à l’aide de passes successives de la camera. Le petit personnage en silhouette a été filmé sur fond vert et intégré en postproduction pour coller au style du papier découpé.
« La nuit dernière, j’ai rêvé une île et tandis que je dormais j’ai entendu la musique jouer. Sur ses rivages dorés, j’ai entendu la conversation des langues et des traditions mélangées, et celle des voix partageant la danse dans la joie. Toute la nuit et jusqu’à l’aube, l’air fut rempli de la douce musique de l’île. »